La Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, 20 ans d’existence et après ?



Du 1er au 3 juin 2013, plus d’une cinquantaine de pays africains seront représentés à Yokohama, dans le cadre du 5ème Sommet de la Conference internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad). Par le fruit d’une heureuse coïncidence, cette rencontre soufflera alors ses 20 bougies au moment où notre organisation continentale (l’Union africaine) fêtera, elle, son jubilé d’or. Lancée en 1993, à une période critique de l’histoire de l’Afrique, l’initiative de la Ticad était basée sur les principes de l’appropriation et du partenariat. Vingt ans après, ces principes continuent de constituer le socle du partenariat entre le Japon et l’Afrique. Ainsi, l’intégration de la Commission de l’Union africaine parmi ses coorganisateurs, au même titre que le gouvernement du Japon, le Bureau du conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique (Unosaa), la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud), a donné une impulsion nouvelle à la Ticad.

C’est fort de ces mêmes principes que la Ticad V intégrera, dans son Plan d’action 2013-2017, les priorités que l’Afrique a elle-même dégagées. Une plus grande synergie sera née entre la Ticad et les programmes prioritaires de l’Afrique tels que le Programme de développement des infrastructures en Afrique (Pida), le Programme détaillé de développement de l'agriculture en Afrique (Pddaa), le Plan d’action pour le développement industriel accéléré de l’Afrique (Aida). L’objectif est de contribuer à la réalisation d’une croissance inclusive, durable et résiliente, soutenue par un secteur privé robuste et dynamique, adossée à des infrastructures de qualité, dans un environnement stable. Pour y arriver, le dividende démographique du continent, peuplé de plus d’un milliard de personnes, sera bien mis en valeur. La nouvelle orientation de la Ticad est sous-tendue par la nécessité de soutenir la dynamique de croissance actuelle de 5 % en moyenne que l’Afrique a connue durant les dix dernières années. Elle s’explique également par le besoin de consolider les efforts jusqu’ici réalisés dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) et d’anticiper sur la réflexion, déjà amorcée, en vue de l’élaboration d’un programme de développement post-2015.

Déjà, le montant des engagements financiers contenus dans le Plan d’action de Yokohama 2008 traduisait une volonté résolue du Japon de contribuer à la transformation socio-économique du continent à travers le doublement de son Aide publique au développement de 900 millions de dollars Us par an à 1,8 milliard par an, d’une part et celui des investissements directs dans le continent de 1,7 à 3,4 milliards de dollars Us par an, d’autre part. Sur la même lancée, une facilité de 1 milliard de dollars Us dénommée Enhanced private sector assistance (Epsa), domiciliée à la Banque africaine de développement (Bad), a été créée pour soutenir le secteur privé africain en général et les Pme/Pmi, en particulier. En 2012, une enveloppe supplémentaire de 1 milliard de dollars Us a été approuvée dans le cadre de la phase 2 de l’initiative Epsa. Par ailleurs, 8,5 milliards de dollars Us ont été dégagés sur cinq années pour aider les pays en développement, y compris les Etats africains, à atteindre les objectifs liés à la santé (5 milliards de dollars Us ) et à l’éducation (3,5 milliards de dollars Us ).

Outre les aspects de développement qui constituent le fondement même de la Ticad, le Sommet de juin 2013 et le Plan d’action qui en découlera accorderont une attention particulière aux questions politico-sécuritaires. En effet, la récente crise au Sahel, l’augmentation des cas de prises d’otages ainsi que la piraterie dans les Golfes d’Aden et de Guinée rendent urgentes la restructuration et la redynamisation des mécanismes de défense collective et individuelle des Etats africains.

La prise en compte de l’aspect sécuritaire constitue, à cet égard, une spécificité de la Ticad. Il en est de même pour les changements climatiques auxquels 15 milliards de dollars Us ont été consacrés entre 2009 et 2012, dans le cadre de la Fast-start financing lancée par le gouvernement du Japon. En effet, l’Afrique subissant de plein fouet les effets de ces phénomènes, il est envisagé de mettre en place une stratégie de la Ticad sur la Croissance à faible émission de carbone et le Développement résilient aux changements climatiques.
Nonobstant ses nombreuses et multiformes réalisations, il est de bon aloi de poser la question de la restructuration de la Ticad, à la veille de la célébration de ses 20 années d’existence. Non pas parce que le mécanisme est inefficace ou inadapté. Bien au contraire, puisque la Ticad a fini de prouver sa grande capacité à s’adapter aux exigences des temps changeants, au point de constituer un cadre de référence mondial en matière de coopération pour le développement de l’Afrique. Mais, la question vaut son pesant d’or car une restructuration intelligente du processus permettrait de réaliser ce bon qualitatif à même d’élever les relations Japon-Afrique au niveau d’un partenariat stratégique. Elle éviterait aussi à la Ticad le risque d’ankylose, ce mal qui a gagné certains fora devenus aujourd’hui de simples ballets diplomatiques.

La réforme s’impose, vu les profondes mutations que le contexte économico-social et géopolitique mondial a connues et qui ont inévitablement un impact sur la marche de la Ticad. Ces changements ont entraîné l’accélération du processus de transformation de l’Afrique, devenue un pôle mondial de croissance. Au même moment, le Japon vit stoïquement une longue récession et se relève difficilement de la triple catastrophe du 11 mars 2011 et son lot de conséquences. Pour notre pays, le Sénégal, la Ticad V revêt un enjeu de taille. Le fait que la première visite ès qualités en Asie du président de la République, Macky Sall, s’effectuera dans ce cadre est une illustration éloquente de l’intérêt que notre pays porte à ce processus. Après que notre pays se soit encore illustré, le 25 mars 2012, parmi les nations à tradition démocratique et considérant le rôle du chef de l’Etat dans la sous-région et en Afrique, notamment à la tête du Comité d’orientation du Nepad, la contribution du Sénégal sera très attendue. La stabilité politique et l’amélioration substantielle du climat des affaires au Sénégal ayant augmenté le niveau de confiance chez les investisseurs japonais, la visite du président de la République devrait, par ailleurs, constituer un moyen d’insuffler une nouvelle dynamique aux échanges économiques avec le secteur privé japonais. Il est attendu que certains chefs d’entreprises membres de la principale organisation patronale japonaise (Keidanren), avec lesquels l’ambassade du Sénégal au Japon travaille en parfaite intelligence, soient reçus en audience par le chef de l’Etat. Après le compte-rendu fait par les représentants d’une douzaine d’entreprises qui ont été reçus par le Premier ministre, Abdoul Mbaye et des membres du gouvernement, durant leur séjour à Dakar en novembre 2012, l’intérêt des investisseurs japonais pour le Sénégal ne cesse de croître. Par souci d’efficacité, beaucoup d’entreprises japonaises souhaitent couvrir le marché sous-régional à partir de Dakar. Cet intérêt va crescendo depuis la mise en place par le gouvernement du Japon de plusieurs facilités dont l’African investment facility, une enveloppe de 2,5 milliards de dollars Us gérée par la Japan bank for international cooperation (Jbic) pour soutenir les activités du secteur privé japonais en Afrique et l’initiative Epasa 2 déjà évoquée.
La communauté sénégalaise établie au Japon et dans les autres pays dans la juridiction comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande se réjouit d’avance de la venue prochaine du président Macky Sall dont l’élection a suscité de nombreuses attentes auprès d’elle. Les premiers actes posés, notamment la nomination d’un ministre délégué chargé des Sénégalais de l’extérieur, les a rassurés en ce sens que leurs préoccupations majeures devraient être mieux prises en compte.

* Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Sénégal au Japon
Par S.E. Bouna Sémou DIOUF *

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