Odile Ndoumbé Faye, secrétaire exécutif de l'association des femmes africaines pour la recherche et le développement : « Nous devons pousser les chefs d’Etat à adopter des lois sur la parité durant le Sommet de la Francophonie »



Le secrétaire général de la Francophonie a récemment mis en place un réseau francophone pour l’égalité femme-homme. Lors de la cérémonie de lancement, Odile Ndoumbé Faye, secrétaire exécutive de l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (Afard), a souligné que les femmes d’Afrique veulent se mobiliser pour encourager les chefs d’Etat qui prendront part au Sommet de la Francophonie de Dakar à faire voter des lois en faveur de la parité et à élaborer un plan d’action pour l’égalité femme homme dans l’espace francophone.

Le Secrétaire général de la Francophonie a récemment lancé le réseau francophone pour l’égalité femme-homme. Parlez-nous du lancement dudit réseau.
«Ce réseau a été mis en place le 25 octobre dernier par le Secrétaire général de la Francophonie. Il réunit, pour le moment, une vingtaine d’organisations choisies à travers le monde francophone. Ce sont des organisations reconnues pour leur expertise sur des thématiques bien précises et leurs engagements en faveur de l’égalité. Une réunion a été conviée par l’Oif le 24 octobre dernier pour réfléchir sur ce que devrait être le contenu de ce réseau, ses missions, mais également sa valeur ajoutée par rapport à l’ensemble des réseaux existants. Cette rencontre a été suivie, le 25 octobre, de la cérémonie de lancement du réseau par le Secrétaire général de la Francophonie, le président Abdou Diouf, en compagnie de Mme Yamina Benguigui, ministre déléguée, chargée de la Francophonie. Il était question, pendant cette cérémonie de lancement, de présenter les résultats de nos travaux de la veille, de montrer la valeur ajoutée de ce réseau et de parler des perspectives des activités à réaliser par le réseau en direction du Sommet de la Francophonie qui aura lieu en 2014 à Dakar, mais également en direction de l’agenda de développement post 2015 des Nations-unies. Il s’est également agi de réfléchir sur comment fédérer, dans les Ong, l’ensemble des organisations du monde francophone».

Qu’est-ce qui fait la particularité du réseau ?
«Quand j’ai été conviée à cette rencontre de Paris, j’avais, comme plusieurs de mes collègues, des appréhensions sur la valeur ajoutée de la création d’un énième Réseau consacré aux femmes. Nos échanges ont rapidement levé ces doutes et nous nous sommes rendues compte du potentiel que pouvait représenter la mise en synergie de nos expertises et de nos actions. En effet, la force de ce Réseau est de permettre à la société civile, qui trop longtemps a travaillé de façon fragmentée, de s’unir dans un cadre multipartite. Celui-ci, par la diversité de ses membres, représentera une masse critique pour engager, en toute légitimité, un dialogue avec les décideurs politiques. Il permettra également une meilleure articulation entre la Société civile, les parlementaires et les gouvernements. Ce qui a toujours manqué dans notre démarche, c’était cette possibilité d’un cadre d’interaction avec les gouvernements. L’Oif étant intergouvernemental, c’est une opportunité pour nous, en tant qu’organisations de la société civile, d’adresser des questions pointues liées à l’égalité homme-femme».

Quelles sont les principales questions sur lesquelles les organisations parties prenantes du réseau vont axer leurs réflexions ?
«Nous avons trouvé l’idée du réseau très géniale. Nous pensons que le réseau vient à son heure parce que le contexte mondial nous l’impose. Le contexte dans nos pays nous demande aussi de hâter le pas. Ce qui se passe aujourd’hui en Rdc, en Centrafrique et ce qui s’est passé au Mali, en Guinée, etc. montrent à tout point que la création d’un cadre de concertation avec les décideurs est plus que jamais utile dans l’espace francophone. La question de la violence basée sur le genre est devenue une priorité dans le monde francophone, surtout dans les pays en conflits. Nous pensons que le réseau devrait permettre aux Etats d’engager des discussions et de prendre des décisions claires par rapport aux engagements pris au niveau international sur l’égalité femme-homme. S’il est vrai que les Etats ont souscrit aux conventions internationales sur les droits humains, on note qu’une fois dans nos pays, qu’il n’y a pas une harmonisation de ces conventions avec les Lois des pays. Aussi, à l’interne, nous avons d’énormes difficultés à faire respecter les droits civils et familiaux parce que le cadre juridique n’est pas très favorable. On a noté également que même quand le cadre juridique existe, la volonté politique n’est pas suffisamment affichée pour accompagner ces engagements. Le réseau permettra donc de faire le point au sein de la Francophonie, de voir où se trouvent les vraies résistances, aller au de-là des textes qui existent et proposer, au besoin, de nouvelles Lois ou des politiques visant à améliorer la situation des femmes et des filles dans l’espace francophone».

Ne risquez-vous pas d’être gêné par les disparités entre les pays dans le domaine de l’égalité homme-femme ?
«Ce qui est intéressant, c’est que nos réflexions sont articulées avec le contexte économique mondial et le contexte local dans nos pays. Il y a une interpénétration du local au global et vice versa du fait de la mondialisation. Nous faisons face, aujourd’hui, à une approche universaliste des grands problèmes qui agitent le monde, et cette approche devant cohabiter avec un relativisme culturel fondé sur l’altérité. Il s’agit bien, aujourd’hui, d’aller vers un nouvel universalisme qui permettrait de réconcilier les droits collectifs et individuels aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Si l’on sait que la question de l’égalité femme-homme est souvent le point de focalisation des tensions entre universalisme et relativisme culturel, on comprend aujourd’hui la nécessité de repenser les disparités et les divergences, selon une approche genre. En tant que réseau, notre souhait est de servir de cadre qui réussirait à fédérer les énergies dans une dynamique endogène de réflexions sur différents vécus de femmes sur le plan micro et/ou local mais articulée à des analyses pointues en lien avec les problématiques qui interpellent l’égalité femme-homme au sein de la francophonie. L’avenir de la francophonie n’est pas seulement dans la langue, mais plutôt dans des valeurs partagées; la langue étant un support pour aller vers les questions partagées. C’est pourquoi, nous allons nous exprimer sur l’ensemble des thématiques et les poser, de façon pointue, dans nos discussions avec les dirigeants, les chefs d’Etat de la francophonie».

Sur quoi vont porter ces discussions ?
«Il s’agit de voir, avec les chefs d’Etat, comment aller vers un plan d’action concret, qui prendrait en compte les priorités sur les violences faites aux femmes, et mettrait l’accent sur l’harmonisation de nos stratégies dans chaque pays pour garantir de bons résultats. Sur la question de l’autonomisation, nous avons compris qu’on ne peut pas faire le développement sans les femmes. Nous avons besoin de renforcer les capacités des femmes aussi bien dans le secteur rural que urbain, formel qu’informel. Trouver un travail décent qui puisse générer un capital productif pour les femmes, pourrait nous permettre de combattre la pauvreté. En Afrique subsaharienne, à partir du moment où nous faisons plus de 2/3 des pays les moins avancés, vous comprendrez pourquoi la question de la lutte contre la pauvreté devrait être prise à bras le corps en mettant la femme et la fille au cœur du développement. Par rapport à la jeunesse, le travail des organisations de la société civile est de voir comment assurer la relève à partir d’un renforcement économique. Nous avons retenu que les organisations membres de ce réseau soient tête de file de thématiques précises car chaque organisation a une expertise dans un domaine».

Le réseau prend-il en compte la promotion de l’accès des femmes aux instances de décision ?
«Le réseau va prendre en compte la question de la participation politique des femmes. Il serait intéressant, à mon avis, que les chefs d’Etat, à l’image de celui du Sénégal, s’engagent à voter des Lois sur la parité. Nous avons vu, à travers l’exemple du Sénégal, qu’avec des textes très forts, on peut hâter le pas de la participation politique des femmes. Certes, on a besoin de mesures d’accompagnement, mais les pays pourraient s’inspirer du modèle du Sénégal pour voir comment aller vers des Lois sur la parité. Cela est facile. Il suffit que les chefs d’Etat s’accordent sur la façon de le faire pour avancer. La participation des femmes à la prise de décision est aussi gage d’une bonne gestion des conflits et de paix durable».

On sait que la promotion de la langue française fait partie des missions de l’Oif. Les femmes vont-elles plaider en faveur de cette langue ?
«Le constat est que la langue française est menacée dans le monde, y compris dans l’espace francophone. Dans le domaine du genre, ce serait bien que nous puissions avoir plus d’outils d’analyse genre et des concepts définis dans la langue française. Car très souvent, dans le vocabulaire du genre, beaucoup de mots sont empruntés à la langue anglaise faute de pouvoir les traduire correctement en français».

Propos recueillis par Babacar DIONE
Le Soleil

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