En marge de la journée d’études co-organisée samedi dernier par la Fondation Konrad Adenauer et Amnesty international, le professeur Fatou Sarr Sow nous a entretenu de son étude scientifique sur les concepts genre et parité.
Mme Fatou Sarr Sow, vous avez fait une étude scientifique sur les concepts de genre et parité. Quelle en est la teneur ?
Les gens font une confusion nette autour de ces concepts. Le concept genre étant abstrait, on a souvent l’habitude de le ramener à la femme. Or c’est une erreur. Le genre renvoie à la relation entre homme et femme, en s’adressant au rôle masculin et féminin tel que c’est socialement construit. Le concept genre est intéressant dans la mesure où il nous permet de faire la différence entre l’identité biologique et l’identité sociale. Le fait d’être du sexe masculin ou du sexe féminin, c’est immuable.
Mais les fonctions que nous avons dans notre société dépendent de la manière dont chaque société conçoit ce que c’est un homme ou ce que c’est une femme. Ce qui varie suivant le temps et l’espace ou le milieu dans lequel on vit. A partir de ce concept, on a pu développer d’autres concepts, des outils d’analyse et des approches. Il est nécessaire à notre niveau de connaître certains concepts tels l’égalité, l’équité, la parité, la condition sociale pour maîtriser la question genre.
Nous considérons d’ailleurs ce dernier concept comme un concept politique et mobilisateur parce que renvoyant plus à une dimension idéologique que scientifique. Elle renvoie à une division à part égale or, il arrive dans certaines circonstances d’être dans des situations où un groupe social peut dépasser largement la moitié d’une représentation. Dans certaines localités, on constate que la population est constituée de 80% de femmes, du fait de l’émigration des hommes. Si on applique dans ce cas de figure le principe de la parité, on aura le même nombre de places pour les hommes et les femmes alors que la population féminine représente 80 % de la population active.
Du point de vue de la démarche scientifique, c’est une aberration. C’est ce type d’analyse et de réflexion que nous faisons et nous essayons de fonder notre démarche sur des mesures exactes car il est difficile de dire a priori, en faveur de qui se présente une situation donnée sans résultats collectés sur le terrain. Donc, le principe est de sortir de ce cliché où il faut absolument mettre en opposition homme/femme.
vDans quelles conditions vit aujourd’hui la femme sénégalaise ?
Il faut étudier toutes les facettes de la société sénégalaise pour voir comment se présente la situation de façon globale. Mais il faut le dire, il y a un déséquilibre très profond entre l’homme et la femme en termes de participation à la gestion du pouvoir. Une inéquité qui se traduit par 13% de femmes au gouvernement, 22 % au Parlement. Nous disons que ce n’est pas juste.
Dans le milieu scolaire, tout est presque rose dans l’élémentaire mais au moyen/secondaire, dans l’enseignement supérieur et professionnel, les femmes sont en voie de disparition.
Sur la question économique, nous regrettons qu’en matière de disposition des ressources, les femmes soient laissées en rade. Les politiques d’emploi ne les absorbent pas souvent ou en absorbent une insignifiante partie. Donc, en matière de travail, de productivité ou d’accès à la terre, les femmes sont loin derrière les hommes. La situation globale est à leur défaveur. Pourtant, comme l’a si bien montré Dr Karsten Dummel, le représentant-résident de la fondation Konrad Adenaeur, dans son allocution, ce sont les femmes qui réussissent le mieux dans la filière des mutuelles et de micro-crédit. Donc, si elles sont formées, sensibilisées et aidées, elles peuvent sortir de cette situation de défaveur qui gangrène leur épanouissement.
C’est dire que les défis à relever sont énormes ?
Absolument. Il y a beaucoup de défis à relever. Ce qui est important aujourd’hui, c’est la question du réalisme dans la mesure où le Sénégal est un pays de pauvres puisque 57 % de la population vivent avec moins d’un dollar, 38 % des familles sont sous le seuil de la pauvreté. Nous pensons qu’il faut réduire de manière drastique cette situation. Pour en arriver, la seule possibilité, c’est d’accroître la richesse. Et pour ce faire, il faut produire. Or, la productivité des femmes, nous l’avons dit tout à l’heure est faible.
Paradoxalement, elles travaillent beaucoup mais leur productivité est faible. La raison c’est que toutes les tâches non productives relèvent de leur responsabilité. Dans le foyer, c’est elles qui cherchent l’eau, le bois de chauffe, s’occupent des enfants. Dans une famille d’agriculteurs, si l’homme a le temps d’aller toute la journée dans son champ, la femme ne dispose que d’une demi journée ou seulement de l’après-midi parce qu’il lui faudra d’abord faire son travail de ménage. Alors produisant moins parce que travaillant moins, elle aura moins de revenus que l’homme. Pourtant, il est possible dans les politiques publiques d’améliorer ses équipements pour lui permettre de mieux rentabiliser ses activités de richesse. Il n’y pas d’autre solution que celle-là.
Les pays asiatiques qui s’en sont sortis, sont passés par là. Il faut que les femmes soient plus qualifiées mais au préalable, il faut qu’elles soient éduquées et soient en bonne santé, loin des grossesses précoces et des mortalités maternelles. Vous ne pouvez pas sans qualification professionnelle ou sans un bon état de santé prétendre à une bonne et abondante production.
Sans rentrer dans des rapports conflictuels entre homme et femme, le problème de l’enjeu du développement, des défis de création de richesses, d’infrastructures scolaires et sanitaires sont beaucoup plus importants que le ping-pong auquel on assiste souvent au niveau des débats sur la question de la femme. Aujourd’hui, c’est du pur réalisme et des institutions comme la Banque mondiale l’ont compris et c’est pourquoi elle exige que tous les documents de réduction de la pauvreté soient rédigés en intégrant la question genre sur cet angle.
Pensez-vous qu’il y a une volonté politique pour corriger ces disparités ?
La volonté a été toujours été là. Cependant, c’est le comment y arriver qui n’a pas été clarifié. Les gens sont d’accord pour améliorer les conditions de vie des femmes. Ils sont également d’accord pour que les filles aillent à l’école. Le seul problème se trouve au niveau des responsabilités politiques. C’est là où les Sénégalais sont frileux. A mon avis, la question politique demeure importante mais les questions de développement sont aussi importantes. De toute façon, le jour où elles auront l’autonomie économique, elles auront aussi l’autonomie politique.
Le Quotidien