À vrai dire, le transfert de compétences, épine dorsale sur laquelle se sont construites les lois de 1996, n’a pas été accompagné d’une vraie responsabilisation des élus locaux en face de la charge liée à l’exercice du pouvoir de proximité. Malgré que le Code des Collectivités locales leur reconnait des prérogatives, un flou entour encore le dispositif. N’est-il donc pas opportun de s’interroger sur le statut de l’élu local en matière de responsabilisation ? En effet, au moment où l’on note de plus en plus d’intervenants et la montée d’une certaine « société civile » locale, pour certains il est fondamental de reconnaître à cet acteur important du processus un statut pour qu’il puisse jouir d’une reconnaissance, il est tout aussi indispensable de circonscrire ses responsabilités plus conformes à son rôle et à sa mission. Par exemple, si un édile contribue à la réalisation d’un éclairage public dans une artère de sa collectivité locale, c’est parce qu’il est bon envers sa population, à qui il de la compassion et pour qui, il est le « bienfaiteur » et non un devoir vis-à-vis de ses administrés.
Dans le système sénégalais, en théorie, l’élu local dispose d’un pouvoir, puisqu’il agit au nom et représente l’ensemble de sa collectivité (au sens regroupement de populations), même s’il ne peut être révoqué par cette dernière. Quant aux citoyens, ils disposent de divers moyens de contrôle et de pression sur leurs élus. D'abord, leur présence aux délibérations de leurs conseils outre qu’elle peut être dissuasive, elle leur permet d’être informés des questions discutées et des décisions prises en leur nom. Mais surtout, ils disposent d’un moyen de pression plus efficace au travers d’élections régulières. En effet, par le biais de la représentation populaire les citoyens peuvent désigner leurs gouvernants et/ou ne pas les maintenir en place au-delà des limites de leurs mandats. Tenues à intervalles réguliers, les élections permettent de faire comprendre aux élus qu’ils ont des comptes à rendre à leurs électeurs. Ce qui les oblige à se sentir comptables vis-à-vis de l’opinion locale dans leurs choix. Tout cela n’est que théorique, car dans la pratique, les choses sont à des années lumières.
Pourtant, c’est sur cette base que la loi du 22 mars 1996 voulait promouvoir une vraie démocratie participative en donnant une place aux administrés dans la conduite des « affaires locales ». Mieux informés, ils peuvent ainsi être associés à leur gestion. Dans la pratique, cette forme de participation se limite tout simplement à quelques caciques dont la légitimité est souvent mal perçue par les populations, car le mode de désignation ne se fait que sur des « bases politiciennes » ou d’intérêt individuel sans aucune considération objective de l’intérêt général. Ce qui fait que très souvent, les populations contestent l’autorité des élus sensés les représenter et les décisions prises en leur nom par ces derniers. Cet état de fait a été constaté dans différentes initiatives prises par les maires d’arrondissements de Dakar. Alors que la gestion politique par faction au pouvoir a été jusque-là, fortement gaspilleuse d’énergies et de moyens. Il est également regrettable que malgré la dynamique institutionnelle née des lois de du 22 mars 1996 - portant transfert de compétences aux collectivités locales - les activités menées par les conseils locaux soient restées les mêmes que par le passé.
Certes, la modicité des indemnités dont bénéficiaient les élus locaux (Maire et Président de Communautés rurales en particulier) faisait que ces deniers confondaient le plus souvent leur poche avec la caisse de la collectivité locale, et que les évolutions apportées par le Président Wade ont permis de corriger cela. Mais il fallait les accompagner de plus d’ « accountability », pas seulement vis-à-vis de l’État, mais aussi des administrés. Sans que la liste soit limitative, le Code des collectivités locales de 1996 énumère les « fautes » pouvant entraîner, outre des poursuites judiciaires (art. 219), la suspension de l’élu (art. 221). Les articles 219 à 235 circonscrivent l’essentiel de la tutelle de l’État sur les élus locaux. Les modifications apportées au Code en 2001, sous l’initiative présidentielle, plus précisément en ses articles 52, 61, 141, 146, 173, 219, 221, et 235, octroient à l’exécutif central, le pouvoir de sanctionner les défaillances des collectivités locales en dissolvant les conseils locaux responsables de « paralysie » ou de « carence notoire » dans « l’exercice de leur attribution » et d’autre part de « suspendre » ou de « révoquer » pour « manquement à leurs obligations ». Si, d’après les motifs du projet de loi, il n’est nullement question de restreindre la marge d’autonomie des élus, mais de permettre à l’État de tirer les conséquences, tant des fautes commises par les élus locaux, que de certaines situations illégales ou contraires à l’intérêt général, il reste que la prérogative reste au Président de la République d’en juger. Alors qu’en est-il des administrés face aux « fautes » ou responsabilités imputables à leurs élus ?
Par ailleurs, ceux qui réclament la reconnaissance d’un statut à l’élu local parlent plutôt de « rang », ce qui fausse l’esprit qui doit guider la mise en place de cette notion de « statut » de l’élu, qui ne doit pas être séparé des responsabilités engagées. Ainsi, les garde-fous contenus dans le Code des Collectivités locales, « destiné à contraindre les élus à se soumettre à leurs obligations », devront être renforcés, explicités et élargis aux administrés. En effet, les contribuables ne doivent pas être ignorés dans ce dispositif, qui, rappelons-le, doivent être au centre du processus pour plus de transparence, d’ « accountability » et d’imputabilité des élus vis-à-vis de leurs administrés pas seulement de l’État. Certes, si l’émancipation de la démocratie locale vis-à-vis du pouvoir central passe nécessairement par la mise en place d’un statut adapté aux exigences et aux nouvelles responsabilités, également ce processus reste indissociable de la promotion de la bonne gouvernance locale. On pourrait ainsi se demander si la question de l’intérêt général a encore un sens, notamment dans les rapports avec la chose publique. En effet, à y regarder de près, il y lieu de s’interroger si ceux qui dirigent les collectivités locales, savent ce que les populations attendent réellement d’eux ?
Depuis la mise en œuvre du processus, la décentralisation s’est trouvée piégée et vidée de son sens premier. Par décentraliser on entendait d’abord et avant tout, favoriser le développement local, qui ne devait pas seulement un concept, un mot vide de sens, mis à toutes les sauces, à travers colloques, séminaires et autres rencontres, imaginés que pour regrouper toujours les mêmes personnes, avides de perdium et autres primes de participation, sans réel souci des conditions de vie des populations et de comment les améliorer. Alors que les mouvements de contestations et les réactions de populations face à certaines décisions d’élus, qui devaient d’abord les écouter, avant d’agir et de n’agir que pour défende leurs intérêts, notés ça et là semblent ne pas revêtir tout son sens pour les élus et les populations. Le tout politique qui a prévalu jusque-là, dans la gestion des collectivités locales, a complètement occulté, les vraies raisons de la décentralisation et ses principaux objectifs. On s’est retrouvé ainsi, dans une situation où se sont les politiciens qui dictent leur façon de voir sans imputabilité aucune et que, les administrés/électeurs, ne peuvent et de doivent être, que de passifs spectateurs de leur histoire et de leur destin qui s’inscrivent sans eux et en dehors d’eux.
L’opposition de certains conseillers municipaux de la commune d’arrondissement de Sacré-Cœur-Mermoz à l’autorisation spéciale pour l’achat d’une voiture 4x4 et l’acquisition d’un mobilier de bureau à plus de 100 millions, au moment où la population se bat dans une pauvreté ambiante n’est-elle donc pas justifiée ? On nous parle de recettes imprévues et distinctes du budget, comme s’il s’agissait d’un gâteau à partager. Même si le renoncement du Maire dissipe les malentendus, son intransigeance et son discours pour justifier cet acte trahissent la compréhension claire qu’il a de sa mission ou que ces autres collègues conseillers ont de leur mission, celle qui est attendue de leurs administrés ? En effet, on est en droit de s’interroger sur l’idée que ces élus locaux se font de leur mission tant cette décision heurte les consciences compte tenu du contexte dans lequel ils sont venus au pouvoir et des dures conditions lesquelles vivent la majorité de nos concitoyens. Même s’il a promis de réorienter les 113 millions de recettes supplémentaires provenant des redevances de la Senelec, vers la réhabilitation de postes de santé, la subvention d’ASC, la réfection d’écoles et leurs équipements en matériel, la réhabilitation de lieux de cultes, cette première décision trahit son engagement et celui de ses collègues. À l’évidence, l’achat d’une voiture à 36 millions allait être certainement une marque d’irresponsabilité et une trahison vis-à-vis des populations qui les ont élus. Si on a voulu réduire, un moment, cette affaire à une divergence entre partis politiques, elle pose en tout cas un vrai problème de fond de la conscience que ces conseillers municipaux ont de leur mission à savoir la recherche du bien-être de leurs administrés.
En outre, on est droit de s’interroger sur l’utilité d’une 4x4 dans un centre urbain comme Dakar déjà trop pollué, sinon qu’à augmenter la pollution ? En effet, si vraiment le Maire juge, où son Conseil juge que leur Maire doit disposer d’un véhicule de fonction, pourquoi une 4x4 ??? Un véhicule mieux adapté ne suffirait-il pas pour ses déplacements qui se font pour l’essentiel en milieu urbain ? À vrai dire, à quoi ça sert de décentraliser si les maigres ressources doivent encore aller à entretenir une classe d'élites, qui ne se souci point de l’intérêt général, et des besoins réels de leurs administrés ? Par la décentralisation, on entendait d’abord favoriser une meilleure allocation des ressources en fonction des besoins des populations, favoriser une solidarité volontaire et volontariste pour aider les plus faibles et le plus vulnérable des membres à vivre dignement et à mieux s’identifier à la collectivité. La pratique nous a démontré jusque-là, tout le contraire. Les actes que les élus de cette commune d’arrondissement voulaient poser allaient aussi, malheureusement, dans ce sens. Ce qui confirme que dans la gestion de nos collectivités locales, il n’y a vraiment pas un problème de ressources, mais plutôt un problème d’allocation judicieuse.
Par ailleurs, le regard critique porté par les citoyens sur la gestion des « affaires locales » ouvre désormais de nouvelles perspectives où aucune question n’est taboue. Car les populations commencent à mieux saisir la portée de leur force en tant qu’électeurs/administrés vis-à-vis de la gestion de leurs élus. Jusque-là, la communication entre les élus et leurs administrés se limitait aux périodes d’élections, pendant lesquelles, les hommes politiques courtisent leurs suffrages. Une fois les élections passées, ils n’existent plus. Or c’est l’opacité qui entourait la gestion des élus qui se noyait derrière des considérations politiciennes qui est aujourd’hui remise en cause. Sur ce plan, les politiciens semblent être un peu à la traine par rapport à la population. Est-ce vraiment l’éveil des masses face à l’irresponsabilité de cette élite qui abuse de sa méconnaissance des règles de jeu ou un simple mouvement d’humeur de l’électeur/citoyen vis-à-vis de l’élu ?
En réalité, la promotion de la culture de la transparence et de l’ « accountability » au niveau local, sont des considérations encore éloignées des comportements actuels de la plupart des élus et de leur gestion où règne corruption, népotisme et clientélisme politique. La conséquence la plus évidente d’une décentralisation réussie est l’apparition d’un nouveau citoyen, plus impliqué dans son milieu, participant aux débats et exprimant ses opinions (ex. des budgets participatifs). L’exercice de la décentralisation doit être en rupture avec les modes de gestion des affaires publiques que l’on a connus jusque-là. Or, les acteurs impliqués dans ce processus ont du mal encore, à interpréter correctement ces mutations où on est en face d’un citoyen beaucoup plus conscient de ses droits (mieux informé), mais aussi de ses devoirs et responsabilités (paiement des taxes et impôts locaux), donc plus exigent et au moment, où tout ce qui incarne la puissance publique jouit d’un préjugé défavorable.
Pour les élus locaux, leur légitimité est de facto une fois les élections passées. Il est pourtant évident que sans le rétablissement des relations de confiance entre les populations et leurs élus, il n’y aura pas de véritable mobilisation pour un développement local. Les différentes manifestations d'humeur/contestations notées çà et là éclairent au moins un point : les administrés/électeurs font désormais le lien entre leur attente et la gestion de leurs édiles. Et ça, c’est un point fondamental qu’il ne faut pas perdre de vu. En effet, le renouveau à travers cette forme de « société civile » en gestation et où émerge une conscience citoyenne ouvre de nouvelles perspectives dans la gestion des collectivités locales. Cette émancipation du citoyen/électeur vis-à-vis de la gestion politicienne des élus écrira certainement demain une nouvelle page de la décentralisation sénégalaise, qu’on le veille ou non.
Dr. Djibril DIOP
djibril.diop@umontreal.ca
Chargé de Cours Université de Montréal (Canada)
Dans le système sénégalais, en théorie, l’élu local dispose d’un pouvoir, puisqu’il agit au nom et représente l’ensemble de sa collectivité (au sens regroupement de populations), même s’il ne peut être révoqué par cette dernière. Quant aux citoyens, ils disposent de divers moyens de contrôle et de pression sur leurs élus. D'abord, leur présence aux délibérations de leurs conseils outre qu’elle peut être dissuasive, elle leur permet d’être informés des questions discutées et des décisions prises en leur nom. Mais surtout, ils disposent d’un moyen de pression plus efficace au travers d’élections régulières. En effet, par le biais de la représentation populaire les citoyens peuvent désigner leurs gouvernants et/ou ne pas les maintenir en place au-delà des limites de leurs mandats. Tenues à intervalles réguliers, les élections permettent de faire comprendre aux élus qu’ils ont des comptes à rendre à leurs électeurs. Ce qui les oblige à se sentir comptables vis-à-vis de l’opinion locale dans leurs choix. Tout cela n’est que théorique, car dans la pratique, les choses sont à des années lumières.
Pourtant, c’est sur cette base que la loi du 22 mars 1996 voulait promouvoir une vraie démocratie participative en donnant une place aux administrés dans la conduite des « affaires locales ». Mieux informés, ils peuvent ainsi être associés à leur gestion. Dans la pratique, cette forme de participation se limite tout simplement à quelques caciques dont la légitimité est souvent mal perçue par les populations, car le mode de désignation ne se fait que sur des « bases politiciennes » ou d’intérêt individuel sans aucune considération objective de l’intérêt général. Ce qui fait que très souvent, les populations contestent l’autorité des élus sensés les représenter et les décisions prises en leur nom par ces derniers. Cet état de fait a été constaté dans différentes initiatives prises par les maires d’arrondissements de Dakar. Alors que la gestion politique par faction au pouvoir a été jusque-là, fortement gaspilleuse d’énergies et de moyens. Il est également regrettable que malgré la dynamique institutionnelle née des lois de du 22 mars 1996 - portant transfert de compétences aux collectivités locales - les activités menées par les conseils locaux soient restées les mêmes que par le passé.
Certes, la modicité des indemnités dont bénéficiaient les élus locaux (Maire et Président de Communautés rurales en particulier) faisait que ces deniers confondaient le plus souvent leur poche avec la caisse de la collectivité locale, et que les évolutions apportées par le Président Wade ont permis de corriger cela. Mais il fallait les accompagner de plus d’ « accountability », pas seulement vis-à-vis de l’État, mais aussi des administrés. Sans que la liste soit limitative, le Code des collectivités locales de 1996 énumère les « fautes » pouvant entraîner, outre des poursuites judiciaires (art. 219), la suspension de l’élu (art. 221). Les articles 219 à 235 circonscrivent l’essentiel de la tutelle de l’État sur les élus locaux. Les modifications apportées au Code en 2001, sous l’initiative présidentielle, plus précisément en ses articles 52, 61, 141, 146, 173, 219, 221, et 235, octroient à l’exécutif central, le pouvoir de sanctionner les défaillances des collectivités locales en dissolvant les conseils locaux responsables de « paralysie » ou de « carence notoire » dans « l’exercice de leur attribution » et d’autre part de « suspendre » ou de « révoquer » pour « manquement à leurs obligations ». Si, d’après les motifs du projet de loi, il n’est nullement question de restreindre la marge d’autonomie des élus, mais de permettre à l’État de tirer les conséquences, tant des fautes commises par les élus locaux, que de certaines situations illégales ou contraires à l’intérêt général, il reste que la prérogative reste au Président de la République d’en juger. Alors qu’en est-il des administrés face aux « fautes » ou responsabilités imputables à leurs élus ?
Par ailleurs, ceux qui réclament la reconnaissance d’un statut à l’élu local parlent plutôt de « rang », ce qui fausse l’esprit qui doit guider la mise en place de cette notion de « statut » de l’élu, qui ne doit pas être séparé des responsabilités engagées. Ainsi, les garde-fous contenus dans le Code des Collectivités locales, « destiné à contraindre les élus à se soumettre à leurs obligations », devront être renforcés, explicités et élargis aux administrés. En effet, les contribuables ne doivent pas être ignorés dans ce dispositif, qui, rappelons-le, doivent être au centre du processus pour plus de transparence, d’ « accountability » et d’imputabilité des élus vis-à-vis de leurs administrés pas seulement de l’État. Certes, si l’émancipation de la démocratie locale vis-à-vis du pouvoir central passe nécessairement par la mise en place d’un statut adapté aux exigences et aux nouvelles responsabilités, également ce processus reste indissociable de la promotion de la bonne gouvernance locale. On pourrait ainsi se demander si la question de l’intérêt général a encore un sens, notamment dans les rapports avec la chose publique. En effet, à y regarder de près, il y lieu de s’interroger si ceux qui dirigent les collectivités locales, savent ce que les populations attendent réellement d’eux ?
Depuis la mise en œuvre du processus, la décentralisation s’est trouvée piégée et vidée de son sens premier. Par décentraliser on entendait d’abord et avant tout, favoriser le développement local, qui ne devait pas seulement un concept, un mot vide de sens, mis à toutes les sauces, à travers colloques, séminaires et autres rencontres, imaginés que pour regrouper toujours les mêmes personnes, avides de perdium et autres primes de participation, sans réel souci des conditions de vie des populations et de comment les améliorer. Alors que les mouvements de contestations et les réactions de populations face à certaines décisions d’élus, qui devaient d’abord les écouter, avant d’agir et de n’agir que pour défende leurs intérêts, notés ça et là semblent ne pas revêtir tout son sens pour les élus et les populations. Le tout politique qui a prévalu jusque-là, dans la gestion des collectivités locales, a complètement occulté, les vraies raisons de la décentralisation et ses principaux objectifs. On s’est retrouvé ainsi, dans une situation où se sont les politiciens qui dictent leur façon de voir sans imputabilité aucune et que, les administrés/électeurs, ne peuvent et de doivent être, que de passifs spectateurs de leur histoire et de leur destin qui s’inscrivent sans eux et en dehors d’eux.
L’opposition de certains conseillers municipaux de la commune d’arrondissement de Sacré-Cœur-Mermoz à l’autorisation spéciale pour l’achat d’une voiture 4x4 et l’acquisition d’un mobilier de bureau à plus de 100 millions, au moment où la population se bat dans une pauvreté ambiante n’est-elle donc pas justifiée ? On nous parle de recettes imprévues et distinctes du budget, comme s’il s’agissait d’un gâteau à partager. Même si le renoncement du Maire dissipe les malentendus, son intransigeance et son discours pour justifier cet acte trahissent la compréhension claire qu’il a de sa mission ou que ces autres collègues conseillers ont de leur mission, celle qui est attendue de leurs administrés ? En effet, on est en droit de s’interroger sur l’idée que ces élus locaux se font de leur mission tant cette décision heurte les consciences compte tenu du contexte dans lequel ils sont venus au pouvoir et des dures conditions lesquelles vivent la majorité de nos concitoyens. Même s’il a promis de réorienter les 113 millions de recettes supplémentaires provenant des redevances de la Senelec, vers la réhabilitation de postes de santé, la subvention d’ASC, la réfection d’écoles et leurs équipements en matériel, la réhabilitation de lieux de cultes, cette première décision trahit son engagement et celui de ses collègues. À l’évidence, l’achat d’une voiture à 36 millions allait être certainement une marque d’irresponsabilité et une trahison vis-à-vis des populations qui les ont élus. Si on a voulu réduire, un moment, cette affaire à une divergence entre partis politiques, elle pose en tout cas un vrai problème de fond de la conscience que ces conseillers municipaux ont de leur mission à savoir la recherche du bien-être de leurs administrés.
En outre, on est droit de s’interroger sur l’utilité d’une 4x4 dans un centre urbain comme Dakar déjà trop pollué, sinon qu’à augmenter la pollution ? En effet, si vraiment le Maire juge, où son Conseil juge que leur Maire doit disposer d’un véhicule de fonction, pourquoi une 4x4 ??? Un véhicule mieux adapté ne suffirait-il pas pour ses déplacements qui se font pour l’essentiel en milieu urbain ? À vrai dire, à quoi ça sert de décentraliser si les maigres ressources doivent encore aller à entretenir une classe d'élites, qui ne se souci point de l’intérêt général, et des besoins réels de leurs administrés ? Par la décentralisation, on entendait d’abord favoriser une meilleure allocation des ressources en fonction des besoins des populations, favoriser une solidarité volontaire et volontariste pour aider les plus faibles et le plus vulnérable des membres à vivre dignement et à mieux s’identifier à la collectivité. La pratique nous a démontré jusque-là, tout le contraire. Les actes que les élus de cette commune d’arrondissement voulaient poser allaient aussi, malheureusement, dans ce sens. Ce qui confirme que dans la gestion de nos collectivités locales, il n’y a vraiment pas un problème de ressources, mais plutôt un problème d’allocation judicieuse.
Par ailleurs, le regard critique porté par les citoyens sur la gestion des « affaires locales » ouvre désormais de nouvelles perspectives où aucune question n’est taboue. Car les populations commencent à mieux saisir la portée de leur force en tant qu’électeurs/administrés vis-à-vis de la gestion de leurs élus. Jusque-là, la communication entre les élus et leurs administrés se limitait aux périodes d’élections, pendant lesquelles, les hommes politiques courtisent leurs suffrages. Une fois les élections passées, ils n’existent plus. Or c’est l’opacité qui entourait la gestion des élus qui se noyait derrière des considérations politiciennes qui est aujourd’hui remise en cause. Sur ce plan, les politiciens semblent être un peu à la traine par rapport à la population. Est-ce vraiment l’éveil des masses face à l’irresponsabilité de cette élite qui abuse de sa méconnaissance des règles de jeu ou un simple mouvement d’humeur de l’électeur/citoyen vis-à-vis de l’élu ?
En réalité, la promotion de la culture de la transparence et de l’ « accountability » au niveau local, sont des considérations encore éloignées des comportements actuels de la plupart des élus et de leur gestion où règne corruption, népotisme et clientélisme politique. La conséquence la plus évidente d’une décentralisation réussie est l’apparition d’un nouveau citoyen, plus impliqué dans son milieu, participant aux débats et exprimant ses opinions (ex. des budgets participatifs). L’exercice de la décentralisation doit être en rupture avec les modes de gestion des affaires publiques que l’on a connus jusque-là. Or, les acteurs impliqués dans ce processus ont du mal encore, à interpréter correctement ces mutations où on est en face d’un citoyen beaucoup plus conscient de ses droits (mieux informé), mais aussi de ses devoirs et responsabilités (paiement des taxes et impôts locaux), donc plus exigent et au moment, où tout ce qui incarne la puissance publique jouit d’un préjugé défavorable.
Pour les élus locaux, leur légitimité est de facto une fois les élections passées. Il est pourtant évident que sans le rétablissement des relations de confiance entre les populations et leurs élus, il n’y aura pas de véritable mobilisation pour un développement local. Les différentes manifestations d'humeur/contestations notées çà et là éclairent au moins un point : les administrés/électeurs font désormais le lien entre leur attente et la gestion de leurs édiles. Et ça, c’est un point fondamental qu’il ne faut pas perdre de vu. En effet, le renouveau à travers cette forme de « société civile » en gestation et où émerge une conscience citoyenne ouvre de nouvelles perspectives dans la gestion des collectivités locales. Cette émancipation du citoyen/électeur vis-à-vis de la gestion politicienne des élus écrira certainement demain une nouvelle page de la décentralisation sénégalaise, qu’on le veille ou non.
Dr. Djibril DIOP
djibril.diop@umontreal.ca
Chargé de Cours Université de Montréal (Canada)