Réflexion : Fondements et déterminants socioculturels des projets Agent préventionniste, bajanu gox et médecin sans blouse

PAR El hadji Mama Mbaye Socio-anthropologue de la Santé
Direction de la Santé



Dans le cadre de la promotion de la santé communautaire et suite à l’idée du président de la République de prévenir les questions de santé, le Ministère a mis en place un projet intitulé « Médecins sans blouse » qui se définit comme la mobilisation d’une équipe médico-sanitaire qui multiplierait les contacts à travers la communauté en discutant avec les populations pour une meilleure compréhension des mécanismes d’apparition de la maladie en vue de développer des réflexes de prévention pour l’adoption de comportements favorables à la santé.

Le PROJET « MEDECIN SANS BLOUSE »

L’objectif de ce projet est de renforcer la prévention par l’implication optimale des professionnels de la santé dans l’éducation pour la santé des communautés par les langues nationales. Dans ce projet, il devait être question, avec l’aide du plan sésame, d’appuyer et d’aider les personnes du troisième age en leur rappelant la périodicité de leur prise de médicament et en attirant leur attention sur les médicaments périmés. Dans la conception d’un tel projet, le président de la République a voulu faire revenir sous une approche plus simple et plus dépouillée le médecin de famille qui était un personnage clé dans la gestion de la santé et des affections propres à la famille. C’est à partir de ce médecin de famille que certains antécédents familiaux comme le diabète était très tôt dépisté et connu. Sa fonction était d’arriver à une socialisation de la maladie, d’ouvrir le débat sur certaines affections qui, à l’époque, étaient terrifiantes parce que la médecine avançait lentement. Ceci permettait ainsi à la personne de développer d’une manière précoce une prise en charge efficace. Mais, cela permettait aussi à la famille tout entière de connaître son bilan sanitaire et de surveiller les signes cliniques.

Le projet « Médecin sans blouse » serait d’une grande utilité aujourd’hui si on considère le développement fulgurant des maladies cardiovasculaires et celles liées au comportement humain tel que le tabagisme. En effet, toutes ces personnes atteintes ont besoin de parler, de se confier à quelqu’un sur qui ils peuvent compter en ce qui concerne leur régime, en ce qui concerne l’évolution de la maladie et les signes cliniques qui surviennent au cours du traitement de celle-ci.

Le projet « Médecin sans blouse » cherche à rétablir, en somme, le dialogue rompu et réinstalle la communication entre l’hôpital et la communauté. En vérité, sur le plan des représentations populaires, l’hôpital est un lieu à l’opposé de la vie. Pour tout dire, c’est un lieu où on vient mourir ! « Médecin sans blouse » réconcilie les deux termes opposés d’une même dynamique. Freud aurait parlé de la réconciliation de Eros et de thanatos.

Le président Wade sait tout cela. Il sait que la blouse du médecin, c’est ce que redoutent le plus les populations. Alors, il la lui enlève et le replace dans la communauté au milieu des siens. Faudrait-il rappeler que le projet « Médecin sans blouse » est d’origine cubaine et qu’à l’heure actuelle Cuba est autosuffisante en médecins et en personnel de santé pour les principales affections qui, il y a quelques décennies, minaient encore leur pays. Ce pays, malgré tout ce qu’on peut dire, a osé engager des réformes courageuses et se construire une médecine à la hauteur des affections les plus courantes dans la société cubaine. Un collègue médecin du Ministère de la Santé qui a visité le système de santé de ce pays m’expliquait, avec beaucoup d’engouement, comment les Cubains avaient intégré les sciences sociales à la santé et les résultats combien probants que cela leur avait apporté en si peu de temps. Pendant les inondations survenues en Floride, il y a de cela trois années, la République de Cuba a été le seul pays au monde à proposer aux Usa de leur envoyer autant de médecins qualifiés pour faire face à de telles inondations. Cette offre d’un petit pays du Tiers-monde, qui a osé faire Usa, ne pouvait être acceptée par le géant américain.

Les gains les plus importants enregistrés en santé publique, comme l’éradication de la poliomyélite et du Ver de Guinée, ont été obtenus grâce à des mesures de prévention.

Le projet « bajanu gox »

Le Sénégal, à l’instar des pays africains, s’est engagé à atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) d’ici à 2015. Cet engagement appelle et recommande, de la part de l’Etat du Sénégal et de ses partenaires, des actions soutenues en faveur de la santé. Cet appui devrait se traduire par la mise en place d’un système de santé performant répondant aux besoins des individus, des familles et des communautés, dans un esprit d’équité et de justice sociale.

Il a été constaté que la réduction de la mortalité maternelle et infanto-juvénile est à peine d’environ 1% par an contre une exigence de 5,5% par an pour espérer atteindre les Omd en 2015. Cette situation et bien d’autres encore ont amené le Secrétaire général des Nations Unies à dire que si la tendance continue au même rythme, il est à peu près certain qu’aucun pays africain n’atteindra les objectifs du millénaire pour le développement.

Excédé par cette déclaration, le président Wade fit une contre-déclaration dans laquelle il promet à la communauté internationale de relever le défi. Ce défi herculéen, il faut le dire, nous engage tous et exige de notre part une mobilisation totale et entière. Ce contexte ressemble, à plusieurs égards, à la situation qui avait prévalu dans le secteur agricole précédant la Goana.

De l’avis de quelques agents travaillant dans le secteur agricole, il y a effectivement un accroissement notable des surfaces emblavées et que le cri de guerre du président avait rallié et mobilisé de nouvelles personnes dans ce secteur, ce qui, à terme, a contribué à améliorer sensiblement les récoltes de cette année.

En début janvier, la région de Kolda, sous la direction de Mme le Ministre de la Santé et de la Prévention, accompagnée de ses principaux collaborateurs, a été le lieu de lancement du projet bajanu gox. Pratiquement, il s’agira d’organiser les femmes en système de parrainage à partir de leurs associations de quartier pour le suivi de la mère de la grossesse à l’accouchement, du nouveau-né et l’enfant en contribuant ainsi à l’amélioration de la santé maternelle, néo-natale et infanto-juvénile dans le Sud-Est du pays. Les stratégies utilisées devront être centrées sur la sensibilisation de proximité, la mobilisation sociale et la communication interpersonnelle.

De ce point de vue, le projet bajanu gox, malgré son choix déclaré de lutter contre la mortalité maternelle, ressemble parfaitement aux autres projets.

En vérité, malgré leurs apparentes divergences et leur fausse diversité, ces trois projets obéissent à une démarche unitaire et dégagent un ensemble d’identités remarquables.

La première identité commune entre ces trois projets est qu’ils impactent tous négativement dans le secteur de la santé et augmentent artificiellement le budget de ce ministère.

La deuxième identité qu’on leur trouve est qu’ils n’ont pas besoin, comme les autres affections comme le diabète et le cancer par exemple, d’une prise en charge coûteuse. Une approche centrée sur la préventive primaire devrait faire l’affaire.

La troisième identité est que tous ces projets ont plus besoin de professionnels des sciences sociales que de médecins. Avec ces trois projets, le président travaille subtilement sur la démédicalisation.

La quatrième identité est que tous ces projets travaillent avec des médiateurs, des intercesseurs, des facilitateurs, des agents de la communauté.

La cinquième identité est que ces trois projets ont la caractéristique d’être des projets à haute intensité formative.

La sixième identité est que ces trois projets, pour être viables, doivent s’appuyer sur la notion de multisectorialité.

De la Grèce antique, les cercles de philosophie enseignaient que « l’homme n’avait pas plusieurs idées qu’il appliquait à chaque chose, mais qu’il avait une seule idée qu’il appliquait à toutes les choses ». Cette opinion rapportée à notre contexte rend bien compte de l’apparente versatilité de la parole du président, que l’on voudrait plurielle, voire contradictoire dans sa capacité à générer des idées de projets.


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