Après plus de vingt années d’intervention dans le secteur de la pêche, Pape Samba Diouf coordinateur de l’ONG WWF nous livre son analyse sur les difficultés que traverse le secteur. Un diagnostic implacable qui débouche sur des solutions seules panacée à cette crise.
Quel est l’état actuel des pêcheries du Sénégal ?
La pêche est une activité extrêmement importante pour notre économie, du fait de sa contribution en termes d’emplois et c’est le premier secteur pourvoyeur de devises. La pêche est aussi importante car contribuant à la sécurité alimentaire. Elle apporte 70 à 75% de protéines animales consommées au Sénégal. En dépit de cette importance, la situation actuelle de la pêche n’est guère reluisante. C’est un secteur qui est en crise et qui nécessite beaucoup d’efforts. Les ressources ont beaucoup diminué, la plupart des pêcheurs gagnent moins que ce qu’ils gagnaient avant. Beaucoup d’industries ferment, les femmes transformatrices ont des problèmes. En définitive, c’est toute la chaîne qui est affectée par cette crise.
Quelles sont les causes qui sont à l’origine de cette situation ?
Il existe plusieurs facteurs explicatifs. D’abord il y a une surexploitation des ressources halieutiques résultant de politiques successives d’incitation économique et fiscale. Il y a également le libre accès, car n’importe qui peut devenir pêcheur. En termes de plan d’aménagement, on n’a pas beaucoup de choses et dans l’application de la législation, il y a une grande faiblesse. Quand on essaie d’approfondir l’analyse, on voit d’autres facteurs, c’est par exemple le problème de mauvaise gouvernance qui ne se limite pas seulement aux couches supérieures. Mais on étend la notion de gouvernance à tous les niveaux. Je crois que si on parvient à régler ce problème de mal gouvernance, à renforcer la cogestion et la démocratie, on peut résoudre beaucoup de problèmes auxquels la pêche est confrontée. Il n’y a pas de secret, les pays où il y a eu des crises de la pêche, ce sont ceux là où la cogestion n’était pas forte.
Vous faites allusion à quels pays par exemple ?
Dans le monde, il y a presque une crise générale de la pêcherie, mais un pays comme l’Indonésie a pu développer des systèmes de cogestion qui lui ont permis de surmonter ces problèmes.
Quand vous parlez d’incitation fiscale, vous faites allusion à quoi exactement ?
Il y a un moment où l’exportation des produits de la pêche était encouragée. Les taxes sur l’exportation de ces produits ont été extrêmement faibles ou exonérées. Le carburant qui est utilisé était aussi subventionné. Autant de mesures qui ont encouragé l’exportation et une surexploitation de la mer. L’ensemble de ces mesures ont favorisé la disparition de certaines espèces car le marché détermine la demande.
Depuis des années le WWF est en croisade contre la surexploitation des ressources halieutiques. Avez-vous le sentiment d’être écoutés ?
Je crois que nous sommes entendus et écoutés par les autorités, car nous travaillons étroitement avec les politiques. Mais cela ne veut pas dire que nous ne gardons pas notre indépendance. Chaque fois que nous constatons que le gouvernement est en train de faire quelque chose qui peut compromettre la durabilité de la pêche, nous sonnons l’alerte. Souvent le gouvernement nous écoute et s’il ne le fait pas nous avons d’autres moyens de faire savoir nos craintes.
Récemment le Sénégal a modifié le code de la pêche. Quel est l’impact attendu ?
C’est difficile à prévoir. Il y a récemment un atelier de validation de ce code où nous étions représentés. Je crois que le fait d’associer tout le monde est une bonne chose. Mais il y a également la manière d’associer les gens. Il faut le faire en amont ou attendre la fin. J’estime que la meilleure manière est d’associer tous les acteurs au début au lieu de concevoir un projet et de le faire valider. Mais, de toute façon tous les acteurs sont associés soit au début soit à la fin. Pour une efficacité, il faut que le code soit réaliste, c’est-à-dire applicable. Très souvent on a des textes excellents, mais il y a des problèmes d’applicabilité. Pour cela, il faut que les pêcheurs qui sont les véritables acteurs soient associés dans la conception.
Vous avez parlé de la non-application des textes. Est-ce que l’adoption d’un nouveau code peut changer quelque chose ?
Je pense que c’est opportun de modifier le code de la pêche. Le texte a 10 ans et que beaucoup de choses ont changé entre-temps. Dans l’ancien code, il n’était pas fait mention des aires marines protégées, alors qu’elles existent maintenant. Donc c’est bien d’adapter les textes à l’évolution des choses. Il est aussi bon de veiller à son applicabilité en définissant les mécanismes d’application par rapport aux moyens de l’Etat. On a 700 km de côte et on n’a pas assez de moyens pour la surveillance. Je crois qu’il faut associer les communautés locales et faire jouer la cogestion. C’est une initiative en cours mais on constate une responsabilisation des conseillers locaux. Je pense qu’on peut l’améliorer en donnant plus de responsabilités aux pêcheurs locaux. Dans ces conseils, l’administration joue un rôle prépondérant alors c’est l’inverse qui aurait dû se passer.
Pensez-vous que l’aquaculture peut constituer une alternative ?
Oui. L’aquaculture peut constituer une alternative durable si elle est bien menée. On a des exemples surtout dans les pays asiatiques où l’aquaculture a détruit complètement la mangrove, or cette végétation joue un rôle extrêmement important dans la productivité des milieux aussi bien estuarien que marin. Elle sert aux juvéniles et aux jeunes poissons de refuge et leur permet de s’y développer. La mangrove joue aussi un rôle de protection. Lors du tsunami en Asie, les zones où il y avait la mangrove étaient moins affectées. Donc, il faut préserver les zones de mangrove, autrement, on peut créer un problème dans l’écosystème. L’aquaculture peut aussi engendrer une pollution de l’eau. Donc, ce qu’il faut c’est de prendre toutes les précautions qui s’imposent. Cela est possible d’autant plus que le Sénégal a une tradition pisciculture comme c’est le cas en Casamance. Toutefois, l’aquaculture doit être combinée avec d’autres alternatives. Il faut valoriser les ressources en déterminant des prix planchés. Ce qui permet aux pêcheurs de gagner plus et de diminuer les prises. Les aires marines protégées constituent également un outil de gestion qui permet de reconstituer les stocks. J’estime pour ma part qu’il faut combiner l’ensemble des alternatives.
Baye Makébé SARR
La Gazette
Quel est l’état actuel des pêcheries du Sénégal ?
La pêche est une activité extrêmement importante pour notre économie, du fait de sa contribution en termes d’emplois et c’est le premier secteur pourvoyeur de devises. La pêche est aussi importante car contribuant à la sécurité alimentaire. Elle apporte 70 à 75% de protéines animales consommées au Sénégal. En dépit de cette importance, la situation actuelle de la pêche n’est guère reluisante. C’est un secteur qui est en crise et qui nécessite beaucoup d’efforts. Les ressources ont beaucoup diminué, la plupart des pêcheurs gagnent moins que ce qu’ils gagnaient avant. Beaucoup d’industries ferment, les femmes transformatrices ont des problèmes. En définitive, c’est toute la chaîne qui est affectée par cette crise.
Quelles sont les causes qui sont à l’origine de cette situation ?
Il existe plusieurs facteurs explicatifs. D’abord il y a une surexploitation des ressources halieutiques résultant de politiques successives d’incitation économique et fiscale. Il y a également le libre accès, car n’importe qui peut devenir pêcheur. En termes de plan d’aménagement, on n’a pas beaucoup de choses et dans l’application de la législation, il y a une grande faiblesse. Quand on essaie d’approfondir l’analyse, on voit d’autres facteurs, c’est par exemple le problème de mauvaise gouvernance qui ne se limite pas seulement aux couches supérieures. Mais on étend la notion de gouvernance à tous les niveaux. Je crois que si on parvient à régler ce problème de mal gouvernance, à renforcer la cogestion et la démocratie, on peut résoudre beaucoup de problèmes auxquels la pêche est confrontée. Il n’y a pas de secret, les pays où il y a eu des crises de la pêche, ce sont ceux là où la cogestion n’était pas forte.
Vous faites allusion à quels pays par exemple ?
Dans le monde, il y a presque une crise générale de la pêcherie, mais un pays comme l’Indonésie a pu développer des systèmes de cogestion qui lui ont permis de surmonter ces problèmes.
Quand vous parlez d’incitation fiscale, vous faites allusion à quoi exactement ?
Il y a un moment où l’exportation des produits de la pêche était encouragée. Les taxes sur l’exportation de ces produits ont été extrêmement faibles ou exonérées. Le carburant qui est utilisé était aussi subventionné. Autant de mesures qui ont encouragé l’exportation et une surexploitation de la mer. L’ensemble de ces mesures ont favorisé la disparition de certaines espèces car le marché détermine la demande.
Depuis des années le WWF est en croisade contre la surexploitation des ressources halieutiques. Avez-vous le sentiment d’être écoutés ?
Je crois que nous sommes entendus et écoutés par les autorités, car nous travaillons étroitement avec les politiques. Mais cela ne veut pas dire que nous ne gardons pas notre indépendance. Chaque fois que nous constatons que le gouvernement est en train de faire quelque chose qui peut compromettre la durabilité de la pêche, nous sonnons l’alerte. Souvent le gouvernement nous écoute et s’il ne le fait pas nous avons d’autres moyens de faire savoir nos craintes.
Récemment le Sénégal a modifié le code de la pêche. Quel est l’impact attendu ?
C’est difficile à prévoir. Il y a récemment un atelier de validation de ce code où nous étions représentés. Je crois que le fait d’associer tout le monde est une bonne chose. Mais il y a également la manière d’associer les gens. Il faut le faire en amont ou attendre la fin. J’estime que la meilleure manière est d’associer tous les acteurs au début au lieu de concevoir un projet et de le faire valider. Mais, de toute façon tous les acteurs sont associés soit au début soit à la fin. Pour une efficacité, il faut que le code soit réaliste, c’est-à-dire applicable. Très souvent on a des textes excellents, mais il y a des problèmes d’applicabilité. Pour cela, il faut que les pêcheurs qui sont les véritables acteurs soient associés dans la conception.
Vous avez parlé de la non-application des textes. Est-ce que l’adoption d’un nouveau code peut changer quelque chose ?
Je pense que c’est opportun de modifier le code de la pêche. Le texte a 10 ans et que beaucoup de choses ont changé entre-temps. Dans l’ancien code, il n’était pas fait mention des aires marines protégées, alors qu’elles existent maintenant. Donc c’est bien d’adapter les textes à l’évolution des choses. Il est aussi bon de veiller à son applicabilité en définissant les mécanismes d’application par rapport aux moyens de l’Etat. On a 700 km de côte et on n’a pas assez de moyens pour la surveillance. Je crois qu’il faut associer les communautés locales et faire jouer la cogestion. C’est une initiative en cours mais on constate une responsabilisation des conseillers locaux. Je pense qu’on peut l’améliorer en donnant plus de responsabilités aux pêcheurs locaux. Dans ces conseils, l’administration joue un rôle prépondérant alors c’est l’inverse qui aurait dû se passer.
Pensez-vous que l’aquaculture peut constituer une alternative ?
Oui. L’aquaculture peut constituer une alternative durable si elle est bien menée. On a des exemples surtout dans les pays asiatiques où l’aquaculture a détruit complètement la mangrove, or cette végétation joue un rôle extrêmement important dans la productivité des milieux aussi bien estuarien que marin. Elle sert aux juvéniles et aux jeunes poissons de refuge et leur permet de s’y développer. La mangrove joue aussi un rôle de protection. Lors du tsunami en Asie, les zones où il y avait la mangrove étaient moins affectées. Donc, il faut préserver les zones de mangrove, autrement, on peut créer un problème dans l’écosystème. L’aquaculture peut aussi engendrer une pollution de l’eau. Donc, ce qu’il faut c’est de prendre toutes les précautions qui s’imposent. Cela est possible d’autant plus que le Sénégal a une tradition pisciculture comme c’est le cas en Casamance. Toutefois, l’aquaculture doit être combinée avec d’autres alternatives. Il faut valoriser les ressources en déterminant des prix planchés. Ce qui permet aux pêcheurs de gagner plus et de diminuer les prises. Les aires marines protégées constituent également un outil de gestion qui permet de reconstituer les stocks. J’estime pour ma part qu’il faut combiner l’ensemble des alternatives.
Baye Makébé SARR
La Gazette