INTERVIEW - Eric BESSON, Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’identité nationale et du Développement solidaire de la République française



197 petites entreprises créées grâce à l’accompagnement des initiatives économiques des migrants

Le Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’identité nationale et du Développement solidaire s’apprête à effectuer une tournée dans plusieurs pays africains qui commence par Dakar.

Au cours de son séjour, M Besson aura à rencontrer le président Abdoulaye Wade, le ministre de l’Intérieur Cheikh Tidiane Sy, pour évoquer plusieurs questions de coopération bilatérales. Il visitera aussi le service des visas du Consulat Général de France, avant de se rendre ensuite à Saly pour visiter l’Institut des Diambars, une structure de formation de jeunes dans le domaine sportif et éducatif. A la veille de cette première visite en Afrique, il a bien voulu répondre à quelques questions brûlantes liées notamment à l’émigration dite « concertée », à l’intégration et à l’accompagnement des initiatives économiques des migrants

Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’identité nationale et du Développement solidaire depuis janvier dernier, vous remplacez à ce poste Brice Hortefeux qui, lui-même, a hérité de ce dossier de l’immigration clandestine de l’actuel président de la République, M. Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur. Au seuil de cette tournée africaine, pouvez-vous faire le point sur la mise en œuvre des différents accords signés avec les pays africains dans le cadre du concept d’« Immigration concertée » ?

A ce jour, la France a signé des accords avec huit Etats : le Sénégal en 2006, complété par un avenant en 2008, le Gabon, la République du Congo et le Bénin en 2007, le Cap Vert en 2008 et le Burkina Faso en 2009. Les deux autres accords concernent la Tunisie et Maurice signés en 2008.

Des négociations sont actuellement en cours avec d’autres pays et se déroulent de manière satisfaisante. Comme vous le savez, afin que les accords signés puissent être mis en œuvre, ils doivent être ratifiés par les Parlements des deux Etats signataires. Or, à ce jour, un seul accord est entré en vigueur, celui conclu avec le Gabon. Les sept autres accords, compte tenu de la qualité des relations que la France entretient avec ces pays, devraient pouvoir entrer en vigueur dès que possible.

Dakar est la première étape de votre premier séjour, en tant de ministre, en terre africaine. Quels sont les fondements de ce choix ?

Le Sénégal a toujours occupé une place privilégiée dans le cœur de la France. Cette relation d’amitié, de solidarité et de confiance mutuelle, a été le point de départ de nombreux accords bilatéraux entre nos deux pays. L’accord de gestion concertée des flux migratoires, signé en septembre 2006 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, est un très bon exemple. Pour la première fois, deux pays s’entendaient pour gérer ensemble les flux d’immigration régulière et pour lutter contre l’immigration clandestine. Pour la première fois, deux Etats signaient un accord associant étroitement la question de l’émigration et celle du développement. Cet accord historique, le premier de sa catégorie, c’est avec votre pays, une grande nation Africaine, symbole de tolérance, de démocratie et de paix en Afrique, qu’il a été signé.

Avez-vous noté, pour le cas du Sénégal, des avancées et des points d’achoppements dans le partenariat sur la gestion des flux migratoires ?

L’accord avec le Sénégal n’est pas encore entré en vigueur, il est actuellement en cours d’examen au Parlement français et devrait être ratifié avant la fin du printemps 2009.

Je ne doute pas que son application se fera de manière très positive, connaissant l’intérêt que nos partenaires sénégalais lui portent et j’en veux pour preuve la qualité de la coopération franco-sénégalaise et les excellents résultats des programmes de développement solidaire sur lesquels mon ministère a engagé de 2005 à 2008 4,5 millions € dans trois secteurs :

- l’accompagnement des initiatives économiques des migrants pour la création de 197 petites entreprises qui ont permis de créer 800 emplois ;

- la mobilisation de 37 experts hautement qualifiés issus de la diaspora pour des missions de courte durée dans différents domaines ;

- le développement local qui a permis de financer 44 projets (écoles, centres de santé, petits barrages hydro-agricoles, centres de formation professionnelle, adductions d’eau ...)

Toutes ces actions s’insèrent dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et ont permis à 80 000 personnes d’avoir accès aux soins de santé primaire, de scolariser 5 000 élèves et de constituer plus d’un million de m3 de réserves d’eau.

Pour le Sénégal et pour le reste de l’Afrique, quelles sont les perspectives à attendre de cette visite ?

Vous l’avez évoqué dans une question précédente ; ceci est mon premier déplacement, en tant que ministre, en terre africaine. Avec mes homologues sénégalais, nous ferons le point de la situation. Nous constaterons ensemble les avancées et les progrès à réaliser dans les domaines relevant de mon domaine d’action, c’est-à-dire principalement les problématiques migratoires et de développement solidaire. Ce dialogue constructif et fécond, je souhaite l’avoir avec tous les responsables africains que je rencontrerai dans les prochains mois, pour qu’il puisse déboucher sur des projets concrets et ainsi, contribuer à bâtir un avenir commun pour l’Afrique et l’Europe.

Né au Maroc d’une mère libanaise et d’un pilote-instructeur de l’Armée française, vous considérez-vous comme un acteur idéal de la réglementation des flux, un vecteur de dialogue entre communautés ou, au contraire, est-ce un handicap qu’on vous rappellera dans le cadre de votre politique souvent assimilée à un arsenal répressif ?

Idéal, je ne sais pas, en tout cas, on n’a jamais cité mes origines comme un quelconque handicap. Depuis mon enfance au Maroc, j’ai toujours eu la chance d’évoluer dans des milieux où la diversité était perçue comme une richesse. Mon lien avec le monde méditerranéen et le Maroc en particulier me donne certainement un autre angle de vue. Aussi, en tant que ministre de l’intégration, je m’emploie à ce que la société française perçoive mieux ce que veut dire "s’intégrer" et "vivre ensemble". En parallèle, notre politique d’immigration requiert autant de fermeté que d’humanité. Les lois françaises sont justes, elles donnent un cadre clair. Nous les faisons respecter, dans le plein respect de la dignité humaine et des droits de l’homme.

Socialiste, vous aviez le souci de dénoncer les restrictions faites aux sans-papiers. Aujourd’hui, vous êtes ministre sous le magistère de M. Nicolas Sarkozy à la faveur de l’ouverture et de votre ralliement à sa cause après des désaccords d’orientation avec votre famille politique initiale. C’est quoi la bonne formule pour vous : vos idées socialistes ou l’actuelle politique ? Ou, alors, le juste milieu est-il possible ?

Dans la plupart des pays, il n’y a pas d’opposition entre droite et gauche sur ce thème. Aujourd’hui, il n’y a qu’une politique possible en matière d’immigration, et tous les Etats européens convergent sur le diagnostic autant que sur la mise en œuvre. Le Pacte européen qui harmonise notre approche en matière de politique des flux migratoires, a été porté par de nombreuses démocraties gouvernées par des travaillistes ou des socialistes, comme le Royaume-Uni, le Portugal ou l’Espagne. Notre objectif est de pouvoir donner à tous ceux qui migrent légalement, les moyens de s’intégrer dans notre société : aujourd’hui, personne ne conteste cela, à droite comme à gauche. Nicolas Sarkozy a mis l’intégration au cœur de son action politique et mes convictions sont en parfait accord avec cela.

Votre ministère a en charge les conditions d’entrée. Votre prédécesseur, Brice Hortefeux, avait à cœur d’éloigner 25.000 immigrés clandestins des frontières françaises au cours de l’année 2007. Objectivement, quelles sont les chances sur dix, pour un clandestin ou un régulier, de travailler et de vivre en France ?

Clandestin et régulier, ce n’est pas du tout la même situation ! La France a toujours été et demeure une terre d’accueil. Un ressortissant d’un pays tiers, pour peu qu’il respecte les conditions d’entrée et de séjour, sera toujours le bienvenu pour travailler et vivre en France.

Près de 600 000 personnes ont ainsi été accueillies sur notre territoire au cours des trois dernières années. En revanche, un clandestin n’a pas vocation, j’allais dire, par définition, à rester dans notre pays. Il sera reconduit à la frontière, conformément à notre législation et dans le respect bien évidemment des droits et des libertés fondamentales de chacun.

Parlons encore, Monsieur le ministre, des reconduites aux frontières. Des préfets qui n’ont pas atteint leurs objectifs, ont été rappelés à leur devoir. Tout en reconnaissant la souveraineté de la République française dans l’élaboration et l’application de ses lois et règlements, cette mesure ne laisse-t-elle pas, dans une démarche incontrôlée, la porte ouverte à des dérives tels que le délit de faciès et les règlements de compte ?

Je ne peux pas vous laisser dire cela. Notre gouvernement veille particulièrement à concilier humanité, fermeté et rigueur dans l’application de ses lois. Les instructions données aux préfets sont claires et précises. J’ajoute enfin que le contrôle au faciès est contraire à la déontologie de nos forces de police, et de surcroît, totalement illégal en France. Quant aux règlements de compte que vous évoquez, je dois vous avouer que ces dérives sont, à ma connaissance, inexistantes en France et qu’elles ne reflètent en rien la réalité des actions menées par nos agents sur le terrain.

Une des priorités de votre action est la lutte contre les réseaux qui délivrent de faux papiers. Vous avez même, il y a une semaine, félicité la Police aux Frontières pour avoir démantelé un réseau organisé de faux papiers en provenance d’un pays Nord-africain. Quelle est la carte de cette Afrique qui est surtout concernée par l’usage de faux et quelles sont les mesures prises par l’Etat français ?

Oui, la France et au-delà l’Europe ont fait de la lutte contre le trafic de faux papiers, l’une de leur priorité dans leur politique en matière d’immigration irrégulière, ne serait-ce que pour préserver les droits de ceux -très largement majoritaires- des migrants qui respectent le parcours légal d’entrée et de séjour. Non, l’Afrique n’apparaît pas, à ce jour, comme une région du monde particulièrement concernée par ce phénomène qui se retrouve dans tous les pays d’origine de l’immigration.

Vous avez à charge l’aide à l’intégration. En font partie la politique d’éducation, la formation professionnelle et l’emploi. Des avancées ont-elles été notées sur la question du curriculum vitae et le voile ?

L’intégration est au cœur de mon action. Je souhaite que nous soyons exemplaires et que nous redoublions d’efforts. C’est pourquoi j’ai souhaité distinguer et encourager les entreprises, mais aussi les administrations ou collectivités locales, engagées dans une démarche active de promotion de la diversité, à travers l’attribution d’un « label diversité ».

Aujourd’hui, sept entreprises l’ont obtenu. Je souhaiterais que ce nombre passe au moins 100 en 2009. Dans la même dynamique, le gouvernement va proposer cette année à 100 grandes entreprises de mettre en place le CV anonyme.

Vous l’aurez compris, nous voulons être exemplaires en matière de diversité. Pour ce qui est du voile, la situation est claire : les élèves dans les établissements scolaires, comme les fonctionnaires de l’Etat, n’ont pas à porter de signes qui témoignent de leur appartenance religieuse, ni d’ailleurs politique ou philosophique.

La laïcité est au cœur de notre pacte républicain. C’est pour notre pays, la garantie d’un espace où chacun est en mesure de parler d’individu à individu sans distinction de classe, de religion, d’appartenance quelconque. C’est donc d’abord une valeur positive qui permet le « vivre ensemble » et favorise l’intégration de celles et ceux qui rejoignent notre communauté nationale.

En prenant l’initiative d’une circulaire destinée à promouvoir le « Label Diversité » et en signant un accord avec le groupe Vinci, votre souhait est de lutter contre les discriminations dans les entreprises. Le patronat français, dans son ensemble, est-il toujours réceptif à ce discours ?

Absolument et j’ajouterais même de plus en plus. Aujourd’hui, un nombre croissant de nos entreprises met en place des politiques dites de la « diversité », pour assurer une égalité de traitement à l’embauche et dans la carrière, entre les salariés, sans distinction de l’âge, du sexe, de l’origine ou de l’orientation sexuelle. Je ne nie pas pour autant que des progrès doivent encore être accomplis. C’est l’objet même de l’action menée par la Halde.

Le Gouvernement y prend tout sa part. Il souhaite avancer sur ce sujet avec conviction et pragmatisme, comme en témoigne sa décision d’autoriser la Halde à pratiquer des contrôles inopinés sur les lieux de travail.

L’annonce de la création d’un groupe de travail sur les mineurs étrangers isolés a été faite dès votre prise de fonction. Le dossier avance-t-il ?

Depuis quelques années, nous observons en France, comme partout en Europe, un nombre croissant d’enfants non accompagnés, errants sur notre territoire. Ils étaient en 2007 entre 4000 et 6000. Laissés à eux-mêmes, ces mineurs sont particulièrement vulnérables aux dangers de la rue ou des réseaux. Ils sont les plus exposés aux abus et à la maltraitance, et notre responsabilité est de leur assurer une protection adaptée. Aussi, j’ai lancé un groupe de travail dont la première réunion se tiendra dans les tous prochains jours. Animé par mes services, il réunit l’ensemble des acteurs concernés, administrations, collectivités et associations, et il a pour objectif d’élaborer avant l’été, des propositions concrètes sur ce sujet. Nous allons tout mettre en œuvre pour trouver des solutions à la détresse de ces enfants.

Quels arguments opposez-vous à ceux qui estiment que l’association « identité nationale » et « immigration » dilue les identités des différentes communautés à travers notamment la question de la langue française dont la connaissance par les candidats à l’immigration familiale est une donnée incontournable ?

Accueillir de nouveaux immigrés, c’est les inviter à partager notre vie, telle que nous la souhaitons ; à rejoindre notre société en travaillant, en apprenant le Français, en s’intégrant à notre mode de vie.

L’identité nationale française ne repose sur aucun caractère ethnique ou religieux. Ce sont les valeurs de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité qui la fondent. La langue française est un ciment essentiel, parce qu’elle permet le partage des valeurs et l’appartenance effective à une communauté.

Repris en France, l’exemple du Royaume-Uni qui, l’année dernière, a procédé à 10.000 teste ADN sur des candidats à l’immigration, fait grincer des dents. Votre séjour dans ce pays est-il lié à un partage d’expériences ? A quoi peut s’attendre l’Afrique sur cette question ?

La question des tests ADN ne fait clairement pas partie des priorités de mes visites de travail en Afrique et je sais l’émotion, peut être excessive, que cette question suscite. La loi a été votée en France, demandant l’expérimentation de ces tests sur une base volontaire et gratuite. Mais, pour respecter l’esprit et la lettre de la loi, il n’est pas simple de rédiger le décret d’application. Je veux m’entourer de mille précautions car, je ne veux pas rouvrir de polémique et de malentendus. Je travaille et je m’exprimerai quand tout cela sera mûr.

Rapporteur spécial de l’Onu contre le racisme, Doudou Diène a dénoncé, devant la Conseil des droits de l’Homme, la « banalisation du racisme », une « lecture ethnique et raciale des questions politiques, économiques et sociales » et un « traitement idéologique et politique de l’immigration comme un enjeu sécuritaire. Comment améliorer l’image polémique que laissent les mesures prises par l’Etat dans le domaine de la lutte contre flux migratoires ?

En France, notre réponse, c’est justement de promouvoir plus ardemment les valeurs de notre République : liberté, égalité, fraternité ; mais aussi laïcité et démocratie. Ces cinq piliers sont le fondement d’une société à même d’assurer la dignité de tous les hommes, dans le respect de leurs différences et de construire un avenir commun. Telle est l’identité nationale que nous voulons bâtir.

Le besoin de communication et de compréhension de l’autre justifie-t-il la création d’une chaire ‘’Management et Diversité » à l’Université Paris Dauphiné.

La France est une société métissée ; c’est une richesse et nous souhaitons que les nouvelles générations de Français puissent accéder équitablement aux fonctions les plus prestigieuses. Aussi, de nombreuses initiatives de promotion de la diversité sont en train d’être lancées dans les entreprises et dans l’administration et comme vous le citez, dans les cursus universitaires Le Gouvernement français est assez exemplaire en la matière : quatre ministres sont issus de la diversité.

Est-ce aussi le signe qu’il faut préparer les générations futures à cette diversité ?

La jeune génération française est très ouverte à la diversité et elle est moins que toute autre sujette aux préjugés.

Il me semble que partout dans le monde les jeunes souhaitent rompre avec les discriminations. C’est un excellent signe pour l’avenir de tous les pays.

Propos recueillis Par Mamadou SEYE Journaliste
Wal Fadjri

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